Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Monsieur Cissé Bacongo, est le ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique de la Côte d’Ivoire.
Il est au cœur de l’actualité ces derniers jours, comme acteur principal dans un litige foncier opposant l’université Félix Houphouët-Boigny de Cocody (Abidjan), à l’Eglise évangélique des Assemblées de Dieu de Cocody.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les actions du ministre sont choquantes, à la limite du blasphématoire (à supposer que cette limite n’ait pas été déjà franchie), si l’on s’en tient au déroulement des évènements que je souhaite relater.
Ce ne sont pas seulement les relents religieux de la question, à cause de l’implication d’une Eglise qui suscite l’indignation. Mais plutôt, ce qui ressemble, à ne point s’y tromper, à un mépris effronté et éhonté de la loi.
Habituellement, ma plume sur ce blog transpire la satire et l’ironie, que j’assaisonne tant bien que mal, de lazzis innocents.
Mais aujourd’hui, je n’ai aucune envie d’être drôle. Je ferai de mon mieux, pour ne pas verser dans une longue diatribe. Même si…
Exposé des faits
Depuis pratiquement deux années, notre ministre disant agir au nom de l’Université Félix Houphouët-Boigny , est engagé dans un litige foncier avec l’Eglise évangélique des Assemblées de Dieu de Cocody dite AD.
Ladite Eglise, possède un certificat de propriété foncière (dont j’ai pu obtenir une copie), délivré par le ministère de la Construction en date du 5 septembre 2012, faisant d’elle, le propriétaire exclusif du terrain sur lequel est bâti son temple.
Le ministre, au motif que l’université dispose d’un titre de propriété antérieur à celui de l’Eglise, avait entrepris la destruction du temple et la réalisation de travaux au profit de la fac sus mentionnée.
L’affaire portée devant les tribunaux en novembre 2012, injonction fut faite, par une ordonnance de référé N°4900/2012 du 28 novembre 2012, à « l’université Félix HOUPHOUËT-BOIGNY de cesser tout trouble et tous travaux sur le site litigieux ».
Cette décision donnait bien entendu la possibilité à la partie adverse de faire appel.
Qu’a-t-elle fait ? Rien !
Face à cette inaction, le certificat de non-appel N° 4098/2012, daté du 20 décembre 2012, a été délivré par le greffier en chef du Tribunal d’Abidjan à l’Eglise des AD le 20 décembre 2012.
Ces décisions ont bien entendu été notifiées à toutes les parties concernées par exploit d’huissier.
Quelle ne fut pas la surprise de la communauté AD de Cocody, lorsque le 2 décembre 2013, M. Bacongo en violation de l’ordonnance du tribunal et sans aucune sommation, ni mise en demeure (aux dires des responsables de la communauté), a fait pénétrer un bulldozer dans l’enceinte de l’Eglise et a procédé à des travaux dits de constructions.
Pire, figurez vous que ce dernier y a posté des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), interdisant l’accès au site (j’ai pu les voir, m’étant rendue dans mon kpakpatoya habituel sur les lieux). Conclusion : l’église ne pouvait plus y tenir ses réunions de prière ! Quel abus d’autorité !
Est-ce en toute légalité que notre ministre agit ainsi ?
Questions troublantes
Je suis consternée que le juge ait débouté l’université qui prétend être le véritable propriétaire du terrain en vertu d’un titre de propriété datant du 11 juin 2004.
Dans l’hypothèse où ce titre ne serait entaché d’aucune irrégularité, pourquoi le ministre n’a-t-il pas interjeté appel de la décision du juge des référés ? N’est-ce pas de la négligence ? Ou dirais-je plutôt, n’avait-il pas en tête, ce projet de passage en force dès le départ ?
Le comble, Monsieur Bacongo, affirme dans son grand cœur, avoir : « Décidé de couper la poire en deux en sollicitant l’expertise du ministère de la Construction pour une simulation avec comme principal objectif, la sécurisation de l’Eglise. Le ministère de la Construction a, donc, divisé le terrain en deux parts égales : 8 000 mètres carrés pour l’Eglise et 8 000 mètres carrés pour l’université ».
Très drôle ! Je me garderai de dire ce qui me vient à l’instant à l’esprit !
Depuis quand le ministère de la Construction est-il arbitre dans les litiges fonciers ? L’Eglise avait-elle donné son approbation pour cette démarche ? A ce que je sache, ce type de conflit se règle au tribunal.
Dans le cas d’espèce, le juge des référés a rendu un jugement des plus limpides, qui est aujourd’hui violé au nez et à la barbe des autorités judiciaires, policières et administratives qui par lâcheté ou par complicité, refusent de l’appliquer.
Fort heureusement, la mobilisation des membres de l’Eglise et des bonnes volontés a permis la réouverture du site depuis le 12 décembre 2013. Ceci dit, selon le communiqué de la direction de communication des AD de Cocody, les forces de l’ordre sont toujours sur les lieux.
Je vous livre une partie du point de presse que j’ai pu me procurer : « Le dimanche 15 décembre 2013, c’est avec regret et indignation que les fidèles de l’Église évangélique des Assemblées de Dieu de Cocody, ont constaté la présence massive et menaçante d’hommes armés de fusils automatiques, sur leur lieu de culte. Parallèlement à cette occupation armée, se déroulaient, pendant la tenue du culte, au sein même de l’église, les travaux d’érection d’un mur visant la partition du terrain, sous la responsabilité et l’autorité de M. Cissé Ibrahim Bacongo. Et ce, de manière bruyante et avec une célérité peu commune. Ce fait qui défie toutes les règles de la vie en communauté, et particulièrement celles de la liberté de culte, est de nature à choquer toute personne éprise d’un respect minimal du sacré… »
Nos ministres et autres institutions sont-ils au-dessus de la loi ?
Je croyais que le gouvernement avait décidé de faire de ce pays un havre de paix et de justice sociale. Je ne savais pas que les ministres étaient perchés au-dessus de la loi et pouvaient librement faire porter, à qui bon leur semblait, le joug de leur autorité.
Cette affaire n’est pas la seule du genre c’est pourquoi je me suis décidée à en parler.
Pour devoir de mémoire, la Côte d’Ivoire a connu une crise grave parce que certains Ivoiriens, se sentaient marginalisés, violés dans leurs droits, mis à l’écart.
Aujourd’hui, à entendre les propos des uns et des autres et à considérer des situations comme celle décrite dans ce billet, qui n’est qu’un épiphénomène dans un tableau général somme toute inégalitaire, il semble bien que malheureusement le navire ivoire soit en train de rejouer la même tragédie de l’exclusion et de la dénégation de justice à certains Ivoiriens. Leur seul tort est de ne pas être suffisamment proches des réseaux du pouvoir actuel ou d’avoir été, de façon avérée ou supposée, un peu trop proche de l’ancien pouvoir.
A quoi joue Cissé Bacongo ? Autrement dit, pour qui joue Cissé Bacongo ?
Dans ce climat de réconciliation nationale, ne vaudrait-il pas mieux aller à la table des négociations ? Avec de telles pratiques, nous voyons que nous sommes loin de la séparation des pouvoirs, exécutif et judiciaire, si chère à la démocratie. Cette dernière, fer de lance du gouvernement, lui a permis d’affirmer sa légitimité.
Alors, fier gouvernement, le pays vous appelle, si vous avez dans la paix réglé ce conflit, notre devoir à nous, citoyens, sera d’être un modèle d’union, de discipline et de travail.
Oui ! Citoyens de tous bords, nous sommes tous concernés par cette « nébuleuse affaire ». Aujourd’hui le temple des AD, demain à qui le tour ?
Shalom !
NB: Vous trouverez le certificat de propriété, la réquisition foncière délivrée par la Conservation foncière et quelques photos sur la fanpage du blog.
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